LES CHAMEAUX QUI DANSENT AVEC LE DESERT
Et l’avion se pose sans bruit sur le tarmac après avoir survolé des steppes immaculées. Sur ses ailes, toi Gengis Khan, qui berce nos nuits, entretient nos rêves depuis des mois, tu nous accompagnes dans notre cinquième voyage sur tes terres.
Moins 25° ! Un froid vif saisi nos poumons, pique nos joues et nous pétrifie. L’air pur dans le ciel si bleu semble suspendu, palpable que l’on ne peut s’empêcher de vouloir le prendre entre nos mains, de le respirer à plein poumon, à grandes apnées, de l’avaler. Sous l’étreinte mordante du froid, Ulan Bator semble plus triste ce matin et s’éveiller péniblement. Certaines de tes plaies, de tes blessures si difficiles à guérir après tant d’années de péril rouge semblent être balayées par le vent nouveau qui souffle sur ton peuple, mais sauras-tu faire les bons choix, car entre tes nouvelles boutiques de luxe et les laissez pour compte , Ulan Bator, se modernise trop vite !
Mais demain, oui demain nous partirons vers la steppe, vers l’authentique Mongolie profonde, vers les vaisseaux du Gobi : les chameaux de Bactriane. Ils sont les rois en cette période de pleine lune dans leur désert de sable et de pierre. Doucement les nomades du Gobi remettent à l’honneur des traditions endormies car même si le monde change vite on reste toujours fier d’être mongol, nomade et de sa culture ancestrale.
Mais avant de vous admirer, vous les chameaux, il nous faudra traverser une partie du désert de Gobi avec le froid, la neige et le vent glacial. Pudique le désert a revêtu de voiles d’organdi blanc éclatant ses plaines de sable blond. Notre jeep s’enfonce dans le moelleux manteau de neige en suivant les ébauches de la piste. La neige jouant avec le sable beige et rouge a dessiné des motifs géométriques aux lignes avant-gardistes. Les plateaux que nous traversons bordés au loin par des chaines de montagnes par leurs diamètres imposants ressemblent à des océans de neige et de glace. Le désert sous l’emprise des flocons de neige n’est ni uniforme ni ennuyeux mais au contraire bien vivant. Les brins d’herbe, les épineux ne se laissent pas si facilement recouvrir. Chaque buisson se fait rempart pour son voisin. C’est une lutte continue pour survivre car chaque brindille se sait garante de la pérennité des chameaux car en attendant le printemps, leurs sabots doivent trouver sous la glace de quoi se nourrir. La poudre de neige épouse, esquisse les moindres reliefs. Rien n’est alourdi au contraire les formes du désert sont soulignées, sculptées et sublimées par un habile coup de crayon manié par la nature. De près l’empilement ingénieux de la neige reconstituant une planisphère à échelle réduite est un défi à la nature elle même. Vallées, coteaux, falaises, montagnes, plaines tout est représenté. Le désert ressemble à une maquette d’architecte à la précision inouïe. La progression dans cet univers feutré comble nos sens et nos fantasmes où se mêlent intimement réalité et rêves tout en nourrissant nos envies de solitude mais aussi de rencontre.
Un jeune chameau qui doit participer aux courses s’est perdu durant le voyage vers Bulgan. Nous unissions nos efforts aux nomades et notre jeep dans la nuit devient un frêle esquif en proie aux éléments. Il fait si froid que les vitres givrent à l’intérieur comme à l’extérieur du véhicule. Aux aguets, notre équipage de six personnes ne parvient plus à distinguer une quelconque silhouette dans ce désert blanc et marine malgré la clarté de la pleine lune. Le vent glacial hurlant fouette notre jeep, en gémissant la neige se soule entourant notre véhicule de toute part et nous tanguons, oscillons, vacillons dans cet univers hostile avec la peur de nous perdre nous aussi. On ne retrouvera pas le chameau cette nuit là ni le lendemain. Avait il eu peur de la défaite ou bien avait il un rendez- vous galant quelque part sous l’astre blanc de la nuit ?
Malgré le froid, la neige et le gel, les chameaux de Bactriane sont tous là, dignes, le poil d’hiver lustré en à faire pâlir l’astre du zénith, gonflés d’orgueil, la tête haute, l’oeil aux aguets. C’est la parade en grande pompe pour les bêtes comme pour les hommes qui portent leurs plus beaux atours traditionnels. Cheveux au vent les chameaux défilent, galopent, ne s’ économisent pas durant les différentes épreuves : il faut être le meilleur, le plus beau, voir le vainqueur il y va de l’honneur de toute la communauté de Bactriane et des éleveurs!
L’agilité de ces animaux semble irréelle, eux qui normalement paraissent gauches, lourdauds et nonchalants, s’occupant de ses affaires en solitaire, là ils virevoltent, papillonnent, tourbillonnent et brillent de tous leurs feux à en faire fondre la neige de l’hiver. Les chameaux dansent avec le sable et les cristaux de glace étoilés en défilant en caravane comme au temps de Gengis Khan. Ces vaisseaux du désert aux pieds légers, presque ailés calligraphient d’éphémères poèmes dans la poussière et les flocons blancs du désert de Gobi durant leur danse endiablée. Pas de deux, entrechats, sauts, ils répètent ces mouvements à l’infini dessinant les plus belles arabesques qu’ils puissent imaginer dans l’azur du ciel. Ils bougent, courent, dansent comme l’eau et les nuages quand attisés par le vent.
Au petit matin on a commencé leur toilettage, pompons, décorations, selles neuves rien n’a été négligé pour que tous puissent rivaliser entre eux et prétendre à la gloire. Des petites mains expertes qui n’ont pas été avare de coup de brosse ont longtemps peigné leur long et doux poil où il ferait si bon s’endormir jusqu’en en faire des fils de soie couleur nuage ou dune ou encore mordorée, cuivrée, bronze, érable, rouille, beige et brun – rouge. C’est la couleur qui va désigner la race ou la zone de provenance de ces étonnants danseurs du Gobi.
Nous rencontrons Gianka, éleveur de chameaux de père en fils. Il a engagé cinq chameaux dans deux courses différentes. Avec les membres de sa famille il participe à toutes les épreuves et tous espèrent remporter de l’or pour compléter l’imposante collection de médailles et de diplômes qui tapisse les murs de la yourte. Gianka est un éleveur chanceux, chaque année il est récompensé par le métal le plus précieux.
On crie, on hurle, on se bouscule dans une ambiance bon enfant, les enjeux sont ouverts. Chaque épreuve : capture et dressage d’un chamelon sauvage, chargement de la caravane, course enthousiasment les spectateurs. La course de chameaux adultes seule donne lieu à des paris endiablés dont le vainqueur remportera une somme conséquente pour soutenir l’ élevage dans cet environnement difficile.
Les résultats tombent. Bronze pour la finale du polo, argent pour le concours d’élégance, et de surcroit l’épreuve du domptage du chamelon sauvage et du chargement le plus volumineux de la leur caravane rapportent à Gianka et sa famille deux médailles d’or. C’est une belle moisson qui satisfait pleinement Gianka mais demain l’or sera- t- il encore au rendez- vous ? Ce sont les courses tant attendues, les victoires les plus convoitées. Le vainqueur de la première course est plus rapide que le vent et laisse loin derrière lui tous ses adversaires. Gianka n’aura que l’argent mais comme tous il reconnaît la valeur de ce chameau qui lui a volé l’or par deux fois déjà. On annonce la deuxième course, alors on prie, on suppute, on implore, on n’ose plus penser, ni regarder et oui ! Gianka a l’or ! Plus fier que ses chameaux, les yeux pétillants d’orgueil et de malice il s’est couvert de gloire une fois encore. Comme le veut la tradition, son chameau est bénit avec du lait de chamelle fermenté, son long cou est recouvert de l’écharpe bleue où brille l’or de sa récompense et le vent faisant tinter et danser la médaille emporte par delà la steppe et les montagnes le nom de Gianka.
La fête se finira au son des morin khuur et de khöömii fameux chant de gorge traditionnel mongol. Ensuite jusqu’à la prochaine fête des chameaux dans le sun de Bulgan on en parlera parfois le soir sous la yourte tout en jetant vers le ciel en offrande à la nature un peu de vodka qu’un nomade aura versé dans son bol d’argent. Nous repartirons vers d’autres moments aussi forts en émotions sereins car Gianka nous l’a promis nous resterons dans son souvenir et grâce à lui chaque année nous participeront à la fête… Oui nous serons présents, Gianka l’a dit, Gianka l’a promis!
(P.S.: le chauffeur peut être contacté en anglais a mejet69@yahoo.com votre rêve deviendra réalité) ou voir mongoliatours.org