RECIT DE VOYAGE
Cachée derrière un nom bien trop long, à l’ombre de son imposant voisin australien, la Papouasie Nouvelle Guinée reste encore à l’écart des circuits touristiques. Ce « pays au mille cultures » où cohabitent plus de 800 langues, demeure une terre de contrastes permanents, à la beauté sauvage. Ici se côtoient montagnes acérées, jungle profonde et plage de sable blanc entourées des plus beaux fonds marins. Jusqu’au milieu du 20ème siècle ses vallées ont abrité un peuple qui a développé loin du monde une société complexe, aux rites fascinants. Grâce à son isolement géographique, sa riche flore et faune ainsi que ses innombrables coutumes ont été préservées.
Venir en Papouasie en pensant trouver que des hommes de l’âge de pierre serait une erreur compréhensible tant sont nombreuses les légendes qui circulent encore.
L’enfer du Sépik
Wewak. 100% humidité. En moins de deux secondes nos corps rejettent plus d’eau que la
fontaine de Trévi. Moiteur, chaleur nous enveloppent totalement et nous sommes partis pour 6 jours de pirogue sur le Sépik ! Nous n’imaginions pas à avoir droit à un sauna gratuit 24 heures sur 24. Midi ; nous sortons trempés du bus plus tout jeune qui nous a conduit à Pagwi pour sauter dans notre nouveau véhicule. Une simple pirogue de bois brut où trône 4 beaux fauteuils en rotin. On croit rêver ! Nous allons être installé confortablement, non royalement avec nos coussins. Nous avalons notre déjeuner directement sur la pirogue, nous sommes trop pressés de vivre le Sépik.
Et la lente descente du fleuve commence sous un soleil de plomb. Nos peaux chauffées à blanc ne trouvent de répit que dans la sensation de fraicheur due à la vitesse du moteur de la pirogue ; mais dès qu’elle ralentit nous cuisons littéralement.
Deux heures plus tard descente sur les berges boueuses du Sépik et deux heures de marche sous le soleil plus tard c’est l’arrivée à Yamok. Magnifique coin perdu qui nous fait oublier
instantanément les inconvénients de la chaleur intense de la région. C’est au son du traditionnel tambour et des flutes de bambou que l’on nous invite à rentrer dans la maison des esprits. Indépendamment de nos sexes nous sommes autorisés à y pénétrer car nous venons de loin et nous avons une autre couleur de peau.
Véritables cathédrales des Arts Premiers, finement décorées et / ou sculptées les maisons des esprits sont le cœur des villages. Chaque maison des esprits abrite plusieurs clans du village et chaque clan a sa place attitrée. C’est là où se règlent les différents, se prennent les décisions importantes pour la communauté et où seuls les hommes initiés peuvent participer et y pénétrer. C’est aussi l’endroit où sont conservés les précieuses sculptures, où sont exécutés les rituels et où les hommes se préparent pour les singsing. Grand moment de partage lorsque les hommes nous invitent à assister à leur mise en beauté pour nous présenter une danse traditionnelle devant la maison spirituelle de leurs ancêtres. Les hommes du Sépik sont honorés de recevoir des visiteurs venus parfois de si loin pour connaitre leur flamboyante culture. Cela les rassure, eux qui se sentent tristes d’avoir perdu où du renoncer à une partie de leur héritage culturel à cause des missionnaires venus les évangéliser dans les années 1950. Aujourd’hui tous pacifiés, seules les grandes pierres noires devant les maisons des esprits rappellent les guerres entre clans et le sort réservé à l’ennemi vaincu. Sur ces pierres on y fichait les têtes décapitées des adversaires en dansant victoire.
Au Sépik, les hommes et parfois les femmes portent, pour d’aucuns, des scarifications sur les bras, le torse et le dos en forme d’écaille pour signifier qu’ils sont devenus des hommes crocodile ; crocodiles qui hantent le fond du fleuve, crocodiles qu’ils vénèrent comme être spirituel de la création.
Ici les scarifications ont un sens profond car elles sont accompagnées d’un enseignement et de pratiques magiques avec l’objectif symbolique d’évacuer le sang maternel donnant ainsi le droit aux jeunes de tenir leur rôle d’homme au sein de la communauté. Il faut être fort mentalement et physiquement pour supporter la douleur de ce rite. Demander à être initié signifie que l’on est prêt à devenir un homme fort et à absorber l’énergie du crocodile. Ce rite de passage est organisé lorsque il y a assez de jeunes gens prêt à le subir. En général quand les étudiants sont de retour dans leurs familles pour les vacances de fin d’année. Mais le nombre ne cesse de diminuer, un jour qui sait cette coutume ne sera plus qu’un lointain souvenir ?
Nous poursuivons notre périple sur ce fleuve quasi inconnu, pourtant long de 1200 km, et qui enchevêtre méandres et affluents. Parfois le Sépik se fait mer, parfois delta, parfois labyrinthe, il faut être né sur ses berges pour ne pas se perdre. Quelques minuscules villages aux toits de chaume bordent ses rives qui reculent à chaque saison des pluies car arbres séculaires et maisons de bambou sont emportés durant les crues. On navigue lentement sur le Sépik sans en déranger l’immobilité de la forêt. Parfois éclate les sonores incantations d’oiseaux invisibles et de temps en temps bruissent les ailes des cormorans ou des hérons prêts à plonger sur leurs proies.
En cette saison, le Sépik, par endroit, n’est pas très profond et notre guide se transforme en sondeur des eaux boueuses pour éviter de nous échouer au milieu de nulle part avec pour compagnie les brulants dards du soleil et les crocodiles.
Une croisière sur le Sépik demande un esprit d’adaptation mais c’est une aventure qui conduit au contact de la population et de la vie très traditionnelle.
Goroka ou l’art de la parure corporelle
Une orgie de couleurs, une explosion de cris et de chants, des costumes à faire pâlir les plus grands couturiers du monde par les trésors de créativité déployés par les différentes tribus pour se parer. La guerre est déclarée ! Mais c’est à coup de feuillage et de plumes, de musique et de chants traditionnels, de masques et de perruques que s’affrontent les divers groupes fiers de faire valoir leurs éclatantes traditions. Sous les mains habiles, qu’aucune experte maquilleuse ne saurait reproduire, le corps devient toile de maitre, peinture impressionniste ou futuriste. Il raconte Son histoire et Sa culture. Ces tatouages temporaires apportent ébahissement et fascination au spectateur. Chaque peinture faciale, chaque bijoux en nacre, chaque coiffe ainsi que la qualité des plumes, le brillant de la peau huilée, expriment le savoir faire des hommes et la fierté de porter les couleurs de son propre clan qu’il doit défendre puisque on récompense le groupe le plus créatif.
Les danses représentent une partie des chorégraphies exécutées, autrefois, pour impressionner à l’ennemi avant l’assaut. Mais cette connotation guerrière se fait vite oublier tant les artifices sont riches.
C’est le plus grand rassemblement de tribus de la Papouasie Nouvelle Guinée, plus de 80 ethnies se retrouvent chaque année vers la mi septembre pour rivaliser entre elles de beauté et de prestige. Ici les parures sont le symbole des hommes sages et ont un sens profond comme les uniformes de certaines de nos professions. Il faut être minutieux pour prendre soin d’une coiffe ou des divers ornements. Ce sont des objets précieux, qui coûtent cher et requiert beaucoup de soins. La parure est une fenêtre qui laisse entrevoir l’âme et permet en même temps de juger de la valeur de son rang au sein du clan d’appartenance. La parure doit surprendre et être éblouissante car elle dévoile puissance et fierté alors que le médiocre suggère faiblesse du clan.
Se parer pour un sing sing est une façon de se présenter devant les autres tribus pour les intimider. C’est à la fois politique, religieux et d’ordre moral c’est une affaire sérieuse.
Admirer cet étalage de folklore permet aux Papous de s’ancrer dans la modernité grâce aux coutumes ancestrales, les masques n’ont donc pas fini de danser encore longtemps pour les cérémonies et le plaisir de tous.